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Rehan et Lucie
Le langage engagé
Esquisse d’analyse des discours produits lors des deux récents mouvements
Article mis en ligne le 14 mai 2007
dernière modification le 15 mai 2007

Le langage, s’il constitue un ensemble de signes permettant la communication, ne se
réduit pas à cette simple fonction. Dans le quatrième chapitre de Ce que parler veut dire, Pierre
Bourdieu fait le constat d’une domination ayant pour instrument, entre autres, l’emploi d’un
discours structurant. Car « on peut agir sur le monde social en agissant sur [la] connaissance de
ce monde »1, postulat qui motive d’ailleurs le travail sociologique de ce chercheur : mieux
connaître les mécanismes sociaux de la domination doit fournir des armes pour lutter contre.
De plus, « le pouvoir constituant du langage (...) et des schèmes de perception et de pensée
qu’il procure ne se voit jamais aussi bien que dans des situations de crise : ces situations
paradoxales, extraordinaires, appellent un discours extraordinaire »

Dès lors, il peut être intéressant de revenir sur ces deux mouvements sociaux qu’a
récemment connu la France : octobre/novembre 2005 et mars 2006. Il s’agit d’interroger les
différents discours produits durant ces événements à la lumière des analyses théoriques sur les
fonctions du langage dans les rapports de domination, développées chez des auteurs comme
Pierre Bourdieu, Roland Barthes ou encore Herbert Marcuse.
Il est d’abord nécessaire de s’interroger sur la façon dont ont été désignés ces
événements. Nous sommes nous-mêmes déjà pris par des effets de langage : parler de
« mouvements » ou d’ « événements » n’est pas neutre (la notion de « mouvement social »
s’inscrit dans une histoire des luttes en France, etc.). Mais force est d’abdiquer devant la
nécessité d’employer un signifiant, l’important étant d’attirer l’attention critique dessus. Pour le
mouvement de novembre 2005, l’on a entendu parler d’« émeutes des banlieues », de « révoltes
des quartiers populaires », de « crise des banlieues ». Les acteurs de ce mouvement ont été
nommés « jeunes des cités », « banlieusards », « émeutiers », « révoltés ». En ce qui concerne le
mouvement de mars 2006, le mot « crise » fut également employé, le terme s’imposant au fur et
à mesure, dans les médias et dans le discours gouvernemental étant celui de « crise du CPE ».
On a aussi entendu parler de « mouvement étudiant », de « contestation étudiante »... Les
acteurs ont quant à eux suscité des appellations diverses : « opposants au CPE », « grévistes »,
« manifestants », « étudiants anti-CPE », « jeunes mobilisés »...

Deux sources irriguent ce discours « officiel » : le pouvoir politique, ses représentants ; et
les médias, qui sont non seulement les plus à même de relayer ces divisions et classifications
opérées par le politique, mais qui peuvent également en produire.

Dans chaque cas, il est primordial de se poser les questions suivantes : qui émet ce
discours ? A qui s’adresse t-il ? Quelle représentation du monde social cette parole suppose telle
 ? Dans quelle mesure ce même discours contribue-t-il à donner forme au social ?
Quant aux mouvements, reprennent-ils la phraséologie dominante ou cultivent-ils une
rupture déjà politique avec le langage imposé ?
Précisons ce que signifie chez Bourdieu le terme de « dominant », largement repris ici.

Est dominant celui qui jouit d’une légitimité et d’une certaine reconnaissance au sein du monde
social, en raison de l’importance de son capital économique, culturel ou symbolique.
Il semble que les médias aient traité les deux événements de façon différente : ils ont
systématiquement jugé, attaqué, méprisé les jeunes révoltés en 2005, alors qu’ils ont parfois pu
être relativement favorables au mouvement de révolte contre le CPE en 2006. S’il faut garder à
l’esprit cette différence majeure, elle ne fera pas l’objet de notre analyse qui cherche plutôt à
repérer les analogies dans les mécanismes du discours dominant, particulièrement issu des
politiques.

Il faut donc saisir les différentes modalités d’un langage qui accomplit selon Bourdieu la
fonction suivante : « prescrire sous apparence de décrire et dénoncer sous apparence
d’énoncer ».

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