Divergences Revue libertaire en ligne
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Pas notre président ! deuxième partie.
Richard Greeman
Article mis en ligne le 24 janvier 2017
dernière modification le 6 septembre 2018

Nature et Composition du régime de Trump

Comme nous l’avons vu, la résistance populaire qui a éclatée le 21 janvier couvait depuis longtemps. Elle aura fort à faire devant des adversaires proto-fascistes derrière Trump : puissants, sans scrupules et déterminés. Ce qui a réveillé la peur et la colère de millions d’Américains qui ne l’ont pas pris trop au sérieux est le caractère ahurissant des ministres que le Président-élu, du haut de sa Tour sur la Ve Avenue, avait recrutés pour diriger les ministères de son gouvernement.

En effet, le PDG star de L’Apprenti avait rassemblé autour de lui une bande d’extrémistes de droite composée de millionnaires et milliardaires (dont quatre associés avec Goldman-Sachs), certains sans aucune expérience gouvernementale, plus quatre généraux (un record), le tout complété par ses copains et les membres de sa famille (et ses entreprises familiales, dont Trump n’a pas voulu révéler l’étendue internationale). C’est le gouvernement le plus riche de l’histoire des Etats-Unis. Tous blancs.

On comprendra alors qu’il s’agit d’une rupture abrupte avec le status quo du néolibéralisme mondialiste de l’ère Clinton-Bush-Obama-Union Européenne. Nous entrons aujourd’hui dans l’ère du « capitalisme de copinage » nationaliste et autoritaire. Qu’est-ce que le capitalisme de copinage ? Au contraire du consensus capitaliste « démocratique » autour d’un gouvernement parlementaire, il s’agit d’un pouvoir autoritaire d’un chef charismatique entouré de « copains » – favoris et clients avec lesquels le « boss » a des liens financiers et dont les intérêts personnels priment sur ceux de la nation.

Nous en connaissions déjà des variétés asiatiques en Indonésie, à Hong Kong, en Corée du Sud et aux Philippines. Trump affiche d’ailleurs ouvertement sa sympathie pour le président philippin Duterte, qui dirige personnellement les escadrons de la mort qui ont récemment assassiné quelques milliers de citoyens suspects d’être des drogués. N’oublions pas la Turquie, l’Egypte et le Brésil. Il s’agit de régimes authoritaires, populistes, nationalistes, xénophobes, racistes, religieux, corrompus. Il existe aussi des variétés est europénnes : Pologne, Hongrie, Ukraine, Fédération russe. Il y en aura éventuellement des ouest européennes si les partis de droite réussissent à prendre le pouvoir en Autriche, en Hollande et en France.

Pourrait-on déjà parler d’un nouvel « axe du mal » national-capitaliste avec le triumvirat Poutine, Le Pen et Trump à sa tête ? C’est trop tôt pour le dire, et en tout cas les trumvirs ont toujours tendance à se bagarrer entre eux, ainsi qu’avec d’autres régimes national-capitalistes, par example la Chine. Néanmoins, on peut conclure qu’il ne s’agit plus aujourd’hui du fameux « consensus de Washington » composé de pays capitalistes avancés néolibéraux engagés ensemble dans la mondialisation au travers de traités internationaux.

Mais n’oublions pas qu’il s’agit toujours du capitalisme, et les gauchistes qui jusqu’à ici n’ont dénoncé que le « néolibéralisme » devraient sérieusement repenser leurs théories.

Que ce capitalisme de copinage nationaliste et autoritaire puisse facilement dégénérer en fascisme, par exemple à l’occasion d’une crise plus ou moins provoquée par son chef, est évident. Mais nous n’y sommes pas encore aujourd’hui, et ce nouveau front uni de résistance aux Etats-Unis a comme objectif de lui barrer la route. Ce qu’il manque au régime populiste de Trumpe aujourd’hui c’est un mouvement de masse à la base, agressif et organisé en copinage avec la police officielle, capable d’intimider les opposants et les mouvement sociaux. Préparons-nous toutefois !

Un gouvernement hard qui veut faire marche arrière

Pour revenir à la composition du régime de copinage capitaliste, l’autre dénominateur commun de ce nouveau gouvernement riche, blanc, et réactionnaire de Trump est ceci : presque tous les copains choisis comme ministres sont des ennemis déclarés de la mission officielle de leur ministère. Leur mission réelle : démanteler les fonctions bénéfiques du « gouvernement » (mot péjoratif en langue républicaine) pour ne conserver pour eux que l’état (appareil de répression). Commençons par Betsy De Vos, proposée pour le poste de ministre de l’Education.

· De Vos, multimilliardaire, héritière d’Amway, frère du mercenaire Eric Prince PDG de Blackwater, chrétienne de droite, veut tout simplement privatiser l’école publique. De Vos fait campagne depuis longtemps en faveur des « charter schools » (écoles privés bénéficiant de subventions et de locaux dans les écoles publiques) et elle a investi des millions dans une chaîne d’écoles privatisées à but lucratif.

· Le gouverneur de l’Oklahoma, état pétrolier, Scott Pruit est nommé chef de la EPA (Agence de protection de l’environnement) : agence que Pruit, représentant politique des intérêts pétrolièrs, a plus de cinquante fois attaqué en justice. Il nie le rôle des humains dans le réchauffement climatique.

· Rick Perry, nommé à l’Energie, renchérit sur le climat : le consensus des scientifiques serait « un gâchis de mensonges et de manipulations ». L’ancien gouverneur du Texas a notamment demandé l’abolition du Département de l’Energie qu’il va diriger.

· Aux Affaires étrangères Trump a nommé Rex Tillerson, PDG d’Exxon Mobil. Le roi du pétrole n’a aucune expérience gouvernementale. En revanche, Tillerson est considéré comme un proche de Poutine, ayant longtemps dirigé personnellement les relations commerciales d’ExxonMobil avec la Russie. Elles comprennent un consortium pour exploiter l’ensemble des gisements arctiques, qui a continué à travailler après l’invasion de l’Ukraine malgré les sanctions économiques américaines contre la Russie. Conflit d’intérêts ?

· Au Trésor on aura un banquier escroc de Goldman Sachs, Steve Mnuchin, qui aurait « oublié » de déclarer au comité du Sénat cent millions dollars de profits ainsi que son rôle de directeur d’un fonds d’investissement dans un paradis fiscal.

· Au Commerce, « le roi de la banqueroute », le spéculateur-vautour Wilbur Ross, spécialiste du rachat de maisons de petits propriétaires ruinés pendant la crise des « subprimes » post-2008.

· Enfin, à la Justice Trump propose Jeff Sessions, sénateur de l’Alabama, longtemps connu pour son racisme réactionnaire. Au moins celui-là ne manque pas d’expérience judiciaire. Ancien procureur de l’Alabama, Sessions a même été proposé en 1986 à la Cour d’Alabama du Sud. Mais – chose rarissime – Sessions a été refusé par le Sénat (alors majoritairement républicain) suite aux témoignages de ses collègues, qui rapportaient ses nombreuses remarques racistes au travail. Elu sénateur, il a voté contre toutes les lois en faveur de la protection des droits civiques des noirs, des immigrés, des femmes et des minorités sexuelles. Sessions a déclaré qu’il considérait la NAACP et la ACLU, [1] principaux défenseurs légaux des droits des noirs et des libertés civiques, comme « un-Americain », sinon « communiste ».

L’injustice raciale étant le problème clef de la civilisation américaine, c’est cette dernière nomination qui a mis le feu aux poudres. A l’occasion de l’audition devant le comité judiciaire du Sénat, est venu témoigner – chose sans précédent au Capitole – le vieux député et militant des droits civiques noir John Lewis, souvent comparé à Martin Luther King, grièvement blessé par la police d’Alabama pendant la marche vers Selma en 1965, 14 fois réélu député de Georgia. Le comité (républicain) l’a fait attendre jusqu’à la fin de la longue séance, et Lewis a dû témoigner dans une salle presque vide. « Comme un noir obligé de rester à l’arrière de l’autobus à l’époque de la ségrégation dans l’Alabama », a-t-on remarqué.

Ceux qui soutiennent la justice équitable dans notre société se demandent si son appel à « la loi et l’ordre » aura aujourd’hui le même sens qu’il avait en Alabama dans ma jeunesse, quand on l’utilisait pour violer les droits humains et civique des pauvres, des dépossédés, des gens de couleur.... Aujourd’hui nous avons besoin d’un ministre de la Justice qui va nous favoriser tous et toutes, et pas seulement certains d’entre nous.

De plus, dans une interview télévisée, l’octogénaire proclama la présidence de Trump « illégitime » et Trump, comme à son habitude, répondit par quelques Tweets dénigrants, personnellement insultants et totalement mensongers. Le public comprit. La Justice, c’est le poste clef de l’état. C’est celle qui réprime, arrête, poursuit en justice, emprisonne. C’est aussi celle qui nous protège, qui est la gardienne de nos droits et libertés. On imagine ce qu’elle sera sous la férule de Trump et de Sessions. Nous ne pouvons que serrer nos rangs et nous préparer à une longue lutte. Mais comme dit Michael Moore : « La bonne nouvelle, c’est que nous sommes plus nombreux qu’eux.

Restons unis et en avant ! Malgré tout, la résistance américaine existe déjà.

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