Divergences Revue libertaire en ligne
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Les amoureux au ban public
L’amour au ban des accusés
Article mis en ligne le 2 septembre 2011
dernière modification le 15 juin 2011

Depuis les années quatre-vingt-dix, la situation des étrangers conjoints de Français en matière de droit d’entrée et de séjour en France n’a cessé de se dégrader au nom de la lutte obsessionnelle contre les mariages blancs. Selon les pouvoirs publics, l’institution du mariage serait menacée par les « mariages blancs » et seule la multiplication et l’intensification des contrôles ainsi que la précarisation du statut des conjoints de Français permettraient de lutter contre ces unions de complaisance.

Pourtant, sans remettre en cause leur existence, l’ampleur du phénomène est bien inférieure aux chiffres annoncés par le gouvernement. « Plus de 80% des annulations de mariages prononcées en France concernent des mariages mixtes », annonçaient les services du ministère de l’Immigration en avril 2009, à l’occasion de la création d’un groupe de travail chargé de faire des propositions pour améliorer la lutte contre les unions de complaisance. Or l’analyse des chiffres présentés par le bulletin d’information du ministère de la Justice [1] nous prouve que la situation est bien moins alarmante que veut nous le faire croire le gouvernement : en 2004, 737 mariages ont été annulés par les tribunaux de grande instance dont 395 mariages blancs. Si l’on rapporte ces chiffres aux 88 123 mariages mixtes célébrés cette même année, il en ressort que seul 0,45% des mariages mixtes ont été constatés comme fictifs par la justice. Et même si certaines unions de complaisance ont pu échapper aux magistrats, le phénomène des mariages blancs demeure très marginal.

En réalité, prétextant une lutte contre les mariages blancs, il s’agit de réduire l’immigration des conjoints de Français, part importante de l’immigration familiale qualifiée d’immigration subie, celle-là même que le gouvernement entend combattre à tout prix. Peu importe les moyens employés pour cela : précarisation de la situation des conjoints de Français avec la mise en place de conditions toujours plus restrictives et arbitraires pour obtenir le titre de séjour d’un an, la carte de « résident » ou la nationalité française ; possibilité de les expulser tant que les 3 ans de mariage ne sont pas atteints ; multiplication et intensification du contrôle de la sincérité de l’union avec une immixtion toujours plus grande dans la vie privée des couples ; accroissement des dysfonctionnements constatés dans la procédure lors des mariages célébrés France ou à l’étranger et augmentation des pratiques illégales de la part des autorités célébrant les mariages.

Au stade du mariage, certaines mairies s’obligent ainsi à saisir le procureur de la République en raison d’un doute sur la sincérité de l’intention matrimoniale dès lors qu’elles constatent qu’un des futurs époux est en situation irrégulière, violant les réserves d’interprétation émises par le Conseil constitutionnel, qui a notamment considéré que la saisine du Parquet au seul motif du séjour irrégulier d’un des futurs conjoints portait atteinte à la liberté matrimoniale.

Lorsque le mariage a été célébré à l’étranger, la transcription de celui-ci sur les registres de l’état civil français, étape indispensable précédant la demande de visa, se caractérise par des délais d’attente interminables liés notamment aux enquêtes diligentées par les services de l’Etat afin de vérifier la réalité de l’intention matrimoniale.

Aujourd’hui, le terme de « mariage gris », c’est-à-dire lorsque « l’étranger a contracté mariage, contrairement à son époux, sans intention matrimoniale ou qu’il a engagé le consentement de son époux en faisant état de qualité essentielles erronées », intégré dans une disposition de la loi sur l’immigration, risque de stigmatiser encore d’avantage les étrangers puisqu’ils seraient les seuls à tromper leurs conjoints sur leurs intentions matrimoniales mais surtout les couples franco-étrangers en renforçant la suspicion qui pèse sur eux dans les discours publics et les pratiques administratives. Cette disposition est pourtant inutile et inapplicable. Inutile, car l’article L. 623-1 du

Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile

permet déjà la répression des fraudes au mariage, qu’elles soient le fait d’un seul ou des deux conjoints. Or le gouvernement ne fournit aucun chiffre qui démontrerait l’ampleur de la fraude qu’il dénonce et la nécessité de durcir les sanctions en cas de « mariage gris » pour compléter le dispositif pénal existant. Inapplicable, car comment montrer qu’un étranger a volontairement trompé son conjoint sur ses sentiments et son intention matrimoniale ? Ira-t-on fouiller dans la vie quotidienne des couples pour rechercher des indices laissant penser que l’un des époux n’aimait pas vraiment ?

Cette notion de mariage gris a déjà trouvé un puissant écho dans les pratiques administratives. Ainsi, le ministère de l’Intérieur, qui défend les refus de visa au stade contentieux devant le Tribunal administratif de Nantes, a récemment développé un argumentaire hérité du débat sur les mariages gris, en plaidant « la relation unilatérale » pour justifier le refus de visa, imposant à l’étranger de démontrer son implication personnelle dans cette union. Ce positionnement, qui tend à infantiliser les conjoints français, est dans la droite ligne du durcissement continu des lois destiné à limiter l’immigration familiale.

D’un point de vue sociologique, les pouvoirs publics, qui se défendent constamment de s’attaquer aux couples mixtes, n’hésitent plus à jeter le discrédit sur le mariage franco-étranger, qui constituerait un frein à l’intégration des étrangers.

En effet, le dernier rapport rendu par le Haut Commissariat à l’Intégration à la demande du ministre de l’Intérieur fustige les mariages « endogames » contractés par des français « issus de l’immigration » avec des étrangers issus de leur pays d’origine, qui créeraient des communautés ethniques. Ces mariages ne seraient plus des mariages « mixtes » dans la mesure où ils uniraient finalement deux « compatriotes », créant ainsi une « sous-catégorie » de Français qui auraient rallié leurs origines et abandonné l’identité nationale française.

La lutte contre les unions de complaisance ne serait donc plus seulement le moyen de protéger l’institution du mariage mais aussi, de maîtriser l’immigration et, plus grave, de protéger l’identité nationale en accusant les Français issus de l’immigration de la diluer en choisissant d’épouser un ressortissant de son pays d’origine.