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Olivier Le Cour Grandmaison
La « France » de Nicolas Sarkozy
Article mis en ligne le 2 septembre 2011
dernière modification le 7 juin 2011

« La France a un lien charnel avec son agriculture, avec sa terre. Le mot "terre" a une signification française et j’ai été élu pour défendre l’identité nationale française. Et dans cette identité nationale française, il y a le rapport des Français avec la terre, avec leurs ancêtres, avec leurs grands-parents. Toutes les familles de France ont des grands-parents qui, à un moment ou un autre, ont travaillé la terre. L’agriculture a façonné nos paysages. L’agriculture a donné à notre patrie une partie de son âme. C’est avec ses [sic] convictions à l’esprit que nous allons ensemble œuvrer pour l’avenir. » Ainsi s’exprimait Nicolas Sarkozy le 11 septembre 2007 devant un public d’agriculteurs, notamment, après avoir loué « le travail, la ténacité, le courage, la liberté, le pragmatisme, le souci de construire et le souci de transmettre » propres au monde agricole, selon lui. Passons sur le fait que cette courte citation, soutenue par la mobilisation de lieux communs éculés et par une rhétorique pesante où l’écholalie tient lieu de style, a été plusieurs fois reprises en des termes identiques dans d’autres discours présidentiels. Ignorons aussi les efforts laborieux des plumes mobilisées pour rédiger cette péroraison ponctuée « d’éléments de langage » supposés propres à la phraséologie élyséenne lors même qu’ils sentent les emprunts grossiers à Maurice Barrès ; plus important est le fond.

Au-delà des agriculteurs, réputés incarner les valeurs, les traditions et l’identité françaises qui, grâce à eux, se perpétueraient de génération en génération, le président s’adresse aussi à ses électeurs en leur livrant un discours qu’ils attendent sur la nation et les qualités ancestrales de ses membres depuis si longtemps attachés à un sol qu’ils ont façonné. En brossant ce tableau singulier, qui n’est qu’un pâle et vieux chromo que l’on croirait exhumé des archives poussiéreuses de la Troisième République, Nicolas Sarkozy s’auto-institue porte-parole et défenseur d’une « France des terroirs » qui ne « ment pas ».

Et comme le mauvais exemple vient de haut, il s’est évidemment trouvé des membres du gouvernement qui, ne reculant devant aucune ignominie, ont, avant les événements new-yorkais, utilisé ce type d’arguments contre la possible candidature de Dominique Strauss-Kahn aux élections présidentielles. Pendant que le chef de l’Etat tente, pour la énième fois, de « prendre de la hauteur » en se concentrant sur les affaires étrangères et quelques sommets prestigieux propres, pense-t-il, à restaurer sa popularité depuis longtemps défaillante, certains responsables de sa majorité multiplient bassesses et sous-entendus. Mais quelle est donc cette « France » au secours de laquelle vole aussi le nouveau ministre de l’Intérieur, Claude Guéant, pour la préserver d’une immigration jugée, contre toute vérité, « incontrôlée » et de « musulmans » supposés menacer les principes de la République et de la laïcité ?

Une pure construction discursive et démagogique au terme de laquelle une fraction du pays est confondue avec le tout afin d’alimenter le « roman national » en images pieuses propres à satisfaire la minorité de votants que l’UMP et l’extrême droite se disputent ; la première pour tenter de conserver le pouvoir, la seconde pour stabiliser sa base électorale. Le discours précité occulte les changements spectaculaires qui, portés par une salarisation et une tertiarisation accélérées, ont profondément bouleversé l’économie et la société françaises depuis 1945. À preuve, aujourd’hui 82% de la population est urbaine cependant que l’agriculture ne représente que 3% des emplois. Plus encore, cette France mythique des « campagnes », « blanche », « chrétienne » et réputée travailleuse est opposée, de façon implicite ou explicite, par ceux qui la défendent, aux habitants des quartiers populaires, aux « banlieues » où sévissent, selon les mêmes, de nouvelles classes pauvres et dangereuses régulièrement stigmatisées pour des raisons qui mêlent des considérations sécuritaires, ethniques, culturelles et cultuelles. Soumise à des discriminations nombreuses, durables et graves, à un harcèlement policier quasi quotidien qui tient lieu de politique, cette « autre » France n’a pas vraiment droit de cité parce que les élites dirigeantes et administratives des différentes République qui se sont succédé après 1875, ont toujours nié avec une obstination remarquable ce fait majeur : depuis la fin du XIXe siècle, pour des causes démographiques aggravées par l’hécatombe de la « Grande guerre », la France est, en Europe, le premier pays d’immigration. Pire, cette dernière, qu’elle soit d’origine européenne d’abord ou d’origine « exotique » ensuite, comme l’écrivait Georges Mauco en 1932 [1], a presque toujours été conçue comme un problème majeur pour l’ordre public, l’emploi et l’identité nationale, notamment.

Le président de la République et ceux qui le soutiennent se croient modernes, réalistes et à l’écoute de « leurs concitoyens », selon la formule consacrée ; pour le sujet qui nous occupe, ils sont de vrais réactionnaires en fait dont les discours empruntent à une rhétorique passéiste qui cherche à faire vivre un pays depuis longtemps disparu. Ils prétendent préparer l’avenir ; leurs propos trahissent le désir nostalgique d’un ordre ancien, exclusif et mythique. La « France » de Nicolas Sarkozy et de l’UMP ? Une baudruche enflée à l’idéologie barrésienne et surannée de la terre et des morts.