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Luiza Toscane
La Bosnie se débarrasse de ses indésirables
Article mis en ligne le 15 mars 2010
dernière modification le 13 mars 2010

Adoptée le 27 juillet 1999 par le Parlement bosniaque, la loi sur la nationalité a été amendée le 22 avril 2003. Elle prévoyait le retrait possible de la nationalité pour les étrangers qui avaient demandé la nationalité bosniaque et l’avaient acquise entre le 6 avril 1992 et l’entrée en vigueur de la Constitution. Une nouvelle loi portant révision de la nationalité, adoptée par le Parlement le 16 novembre 2005 prévoit d’examiner les modalités d’obtention de la nationalité bosniaque pour tous ceux qui l’auraient acquise entre le 6 avril 1992 (date officielle du début de la guerre correspondant au bombardement de Sarajevo) et le 1er janvier 2006.

Une commission a été mise en place à cet effet, sous l’égide du ministère de la Sûreté. Cette commission est composée de neuf membres, deux Bosniaques, deux Croates et deux Serbes de Bosnie et trois personnes autres que des citoyens de Bosnie ou d’un pays voisin et elle est présidée par un fonctionnaire du ministère de la Sûreté. Elle a débuté son activité en 2006 et depuis est reconduite chaque année par le Parlement, voire par le Haut Représentant de la communauté internationale, qui dispose de prérogatives législatives en cas de vacance parlementaire.

C’est donc avec l’assentiment de l’Europe et des Etats Unis que le pouvoir de Bosnie Herzégovine a concocté une loi ad hoc lui permettant de se débarrasser de ressortissants venant de pays arabes ou musulmans et vivant depuis dix, vingt ou trente ans sur son sol.

Les accords de Dayton prévoyaient que tous les combattants étrangers devaient quitter la Bosnie dans les trente jours [1], une formulation qui ne permettait pas de se débarrasser de ces nouveaux indésirables.

En effet, au moment de la signature des accords, ces personnes n’étaient généralement plus étrangères mais déjà bosniaques. De plus, nombre d’entre elles n’étaient pas venues pour combattre, mais pour travailler dans des associations humanitaires pendant ou après la guerre.

La commission en question a commencé son travail et ôté la nationalité à des centaines de ressortissants bosniaques. La déchéance de la nationalité n’est pas assortie d’un droit d’appel ou de recours. Ces ex-Bosniaques, originaires de pays dans lesquels ils seraient en danger de mort ou d’être torturés, ont alors demandé l’asile, qui leur a été systématiquement refusé, ou le droit au séjour, qui leur a été refusé également.

Ils sont devenus en quelques mois des sans-papiers alors qu’ils avaient été reçus à bras ouverts pendant la guerre. Les combattants avaient été intégrés à l’armée bosniaque qui leur avait attribué, selon les cas, des décorations, les avantages sociaux dus aux vétérans, des pensions justifiées pour les invalides de guerre ; ils se retrouvent en situation irrégulière et pourtant pour l’écrasante majorité d’entre eux, car il s’agit d’hommes essentiellement, ils sont mariés avec des femmes bosniaques et ont des enfants bosniaques.

Face au danger, les intéressés ont multiplié les communiqués et les manifestations, essentiellement à Zenica et Sarajevo. Ils ont créé l’association Ensarije [2] et engagé des procédures devant la Cour suprême de Bosnie, puis devant la Cour Européenne des Droits de l’homme. Plusieurs associations de droits de l’Homme, notamment au niveau international (Amnesty International, Human Rights Watch, ACAT-France, Comité Helsinki pour les droits de l’homme-Bosnie) ont exprimé leur souhait de voir cette loi assortie d’un droit de recours et ont mis en garde contre la possibilité de renvois dangereux qu’elle ouvre.

En parallèle, des dizaines d’autres ex-Bosniaques ont pris la fuite, souvent avec leurs familles bosniaques, pour demander l’asile en Suisse, Grande Bretagne, Suède, France. En Suisse, six ex Bosniaques, d’origine tunisienne et marocaine, accompagnés de leurs épouses et enfants bosniaques, ont déposé leur demande d’asile entre 1999 et 2003…. Et sont toujours dans l’attente d’une réponse des autorités helvétiques !

Seule la Grande Bretagne a accepté à ce jour d’octroyer des statuts de réfugiés, notamment à des ex-Bosniaques redevenus Tunisiens, car tous les Tunisiens ayant fait un séjour en Bosnie sont immédiatement torturés et incarcérés à leur retour en Tunisie.

Ceux qui n’ont pas encore perdu la nationalité bosniaque se verraient généralement refuser l’asile au motif que la Bosnie fait partie des pays « surs ». Actuellement la Bosnie est entrée dans la phase d’expulsion de ces ex Bosniaques : un Algérien a été renvoyé en 2007 et un Bahreini en 2009. Un Syrien arrêté en 2008, Imad Al Hussein [3], est au centre de rétention de Lukavica depuis un an et quatre mois [4], rejoint depuis par un Tunisien, Ammar Al Hanchi [5], deux Irakiens, Fadhel Al Hamdani et Zeyad Algertani, et un Algérien, Omar Frendi [6]. Considérés soudainement et systématiquement comme une menace, non précisée, pour la sécurité du pays, ces ex Bosniaques risquent la torture, voire la mort car les pays où ils seront renvoyés n’ont pas aboli la peine capitale. Leurs épouses ou leurs filles se mobilisent à leur tour et interpellent les autorités et l’opinion publique.

Famille de Fadhil Al Hamdani

À l’heure où l’Europe discute des conditions d’accueil des ex-détenus de Guantanamo, où la France accueille deux Algériens de Guantanamo, faut-il rappeler que ces derniers, Lakhdar Boumedienne et Saber Lahmar,
arrivés en France respectivement les 15 mai et 1er décembre 2009 , avaient été livrés par… la Bosnie aux forces américaines, et que Lakhdar Boumediene avait été déchu de sa nationalité en vertu de la loi que nous venons de commenter.

En somme, pendant que l’Europe accueille deux Algériens ayant vécu en Bosnie, ses élus donnent un blanc-seing à leur représentant en Bosnie, Valentin Insko, pour avaliser la politique de renvoi de centaines de parias vers la torture et la mort, vers les Guantanamo de Syrie, de Tunisie, d’Irak ou d’Algérie.