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Christiane Passevant
Jaime Camino, cinéaste de la mémoire (1)
Article mis en ligne le 15 septembre 2009
dernière modification le 21 septembre 2009

Chaque année, le festival de Montpellier nous permet de découvrir des cinéastes majeurs du cinéma espagnol et leurs visions particulières : Basil Martin Patino et l’originalité critique tant de ses fictions que de ses documentaires, tournés pour certains dans la clandestinité ; Vicente Aranda et l’éclectisme qu’il déploie dans ses sujets comme dans ses approches, notamment la question de la sexualité traitée à travers les tabous toujours aussi ancrés dans les mentalités ; Gonzalo Suarez et l’école de Barcelone…

Autant d’artistes majeurs pour une approche du cinéma espagnol, bien trop méconnu en France. Mais que font les distributeurs pourrait-on se demander lorsque l’on voit cette richesse et cette créativité multiforme. Mais les sélections du festival, année après année, ne se bornent pas à la génération qui a connu la dictature franquiste et la censure, elles sont aussi largement dédiées aux jeunes et aux très jeunes cinéastes dont l’inventivité cinématographique est l’une des plus foisonnantes dans le cadre du cinéma européen. Il n’est que rappeler Icíar Bollaín (Te doy mis ojos/Ne dis rien, 2004), Patricia Ferreira (Para que no me olvides/Pour que tu ne m’oublies pas, 2004), Chus Gutiérrez (El Calentito, 2005), ou encore Rodrigo Cortés (Le Concurrent, 2007).

Pour sa trentième année, le festival du film méditerranéen, fidèle à une continuité et pour illustrer, la tragédie de la guerre civile espagnole, de la Retirada et de l’exil, a présenté un hommage à Jaime Camino, cinéaste de la mémoire, de cette histoire évacuée par la propagande du régime franquiste. Avec Las largas vacaciones del 36, Le long hiver, La Vieja Memoria ou les Enfants de Russie, Jaime Camino fait une relecture de cette histoire, des clivages meurtriers, de l’engagement et du vécu des êtres pris dans le maelström d’enjeux politiques. L’œuvre de Camino est essentielle pour une autre vision de ces temps où l’autonomie du peuple et les idées utopiques ont résisté à la barbarie.

Le long hiver revient sur le désastre de la guerre civile espagnole, et l’occultation qui a suivi, pendant quarante années, de la mémoire vive espagnole comme pour effacer la vie, la créativité, l’imagination sous la chape de plomb d’un franquisme triomphant et mortifère. Le long hiver, quel beau titre pour ce film de Jaime Camino qui marque le début d’un cloaque de presque un demi-siècle pour toute une population. Analyse du processus totalitaire, le film est avant tout, comme toute l’œuvre de Jaime Camino, la volonté de ne pas oublier, de ne pas effacer et passer pour morte la mémoire d’un peuple.

Peu de cinéastes ont, avec une telle constance et sans jamais prendre parti, mis en images la mémoire et ce qu’il en reste au collectif après presque un demi-siècle de propagande et d’éradication active par la violence, la peur, la misère et l’oppression. Qu’il s’agisse des Longues vacances de 36 (Las largas vacaciones del 36), de Dragon rapide (1986) ou du Long hiver (El largo invierno), les films de Camino s’opposent à l’amnésie et au silence qui semblent avoir régner pendant les années de dictature franquiste. Et ce qui est sans doute le plus étonnant dans le cinéma de Camino, c’est que tout en montrant les conséquences dramatiques et la barbarie de la guerre, il ne prend pas parti, mais donne toute la dimension de l’horreur d’une guerre. Comment une situation de guerre peut influer sur des vies entières, briser des êtres, des familles, révéler le courage comme la veulerie.

Remarquable documentariste, Camino laisse l’impression de tourner ses fictions avec la même méthode qu’il prépare ses documentaires. Les longues vacances de 36 repose sur des souvenirs familiaux et Le long hiver, qui retrace l’histoire de deux frères issus d’une famille bourgeoise barcelonaise divisée par le conflit, s’inspire d’événements s’étant également produit dans sa famille, même si ce récit n’est pas à proprement dit autobiographique. La guerre civile, thème récurrent des films de Jaime Camino, paraît en quelque sorte le pivot d’une conscience collective mémorielle.

Christiane Passevant : Vous êtes souvent présenté comme le cinéaste de la mémoire, d’une mémoire éradiquée pendant plus de quarante ans. Êtes-vous d’accord avec cette définition de votre parcours cinématographique ?

Jaime Camino : Oui, car il n’a existé pendant longtemps que l’unique version de l’histoire officielle. La sélection de mes films, qui a été proposée pour le festival, est importante pour la connaissance de ce qui s’est passé, à la fois d’un point de vue historique et humain. D’autant que les exilés espagnols ont été nombreux dans cette région du Sud de la France, après la victoire de Franco.

Mon premier film, dans le programme du festival, évoque les anciens des Brigades internationales venus combattre aux côtés des Républicains [1]. L’un d’eux revient en Espagne à l’occasion d’une rencontre professionnelle et internationale. Le film a été en partie censuré et jusqu’à la fin du franquisme, j’ai eu des problèmes avec la censure.

Le grand succès des Longues vacances de 36, sorti en 1976 juste après la mort de Franco, vient aussi du fait que le public découvrait un monde dont il ignorait tout puisqu’il n’en avait jamais entendu parler. Tous les protagonistes du film sont des Catalans et cela a fait forte impression sur le public. En cela, la sélection du festival est très intéressante, car elle permet de découvrir une autre vision et d’autres vérités que celles de l’histoire officielle [2].

Christiane Passevant : On parle également souvent de vous en évoquant le cinéma de la transition, après la mort de Franco, j’ai pourtant l’impression que votre cinéma est sans concessions et plus radical. Je me trompe ?

Jaime Camino : Non, vous avez raison et vous connaissez mes films. On peut en effet parler d’ouverture après la mort de Franco, d’une part pour des films un peu pornos et soi-disant drôles et, d’autre part, pour un cinéma qui évoquait des faits oubliés, de pans de l’histoire dissimulée, comme j’ai tenté de le faire, pas obligatoirement d’une manière pessimiste, mais en montrant ce qui avait été occulté pendant quatre décennies.


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