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Un guide méchant [et parfois moche] de Paris
Station Havre-Caumartin
Jean-Manuel Traimond. Photos Christiane Passevant
Article mis en ligne le 16 avril 2009
dernière modification le 29 mars 2009

De cette station, Nestor Potkine a observé dans le Monde Libertaire :

« Havre-Caumartin débouche sur les grands magasins, où l’on achète ce dont on n’a pas besoin grâce au salaire qui paie la perte d’un temps dont on a besoin. Au pied de ces magasins, dans les escaliers, quatre personnes.
La première, une vieille dame, compacte, serrée dans son vieux manteau.
Il y a quinze ans, elle mendiait debout. Maintenant elle mendie assise sur une chaise. Sur une chaise en plastique, légère. Qu’il est beau que les sociétés américaines qui fournissent le pétrole, et les compagnies allemandes qui fabriquent le plastique à partir du pétrole, et les camps chinois qui fabriquent les chaises à partir du plastique, permettent à la dame compacte de mendier confortablement !

La seconde est un très vieux monsieur. Lui mendie debout. C’est un homme, après tout. Son panonceau supplie « J’ai 88 ans, aidez-moi s’il vous plaît. » Remercions là encore le Fonds Monétaire International et à l’Organisation Mondiale du Commerce, grâce auxquels le vieux monsieur peut s’acheter chaque jour un café récolté par des gens bien payés, mis en petits sachets, distribué dans les bistros et transformé en expresso par des gens tous bien payés. On ne peut pas lui offrir ce café, parce que le nombre de boîtes de sachets est compté. Deux cafés par jour, six jours par semaine (quand on mendie, on mendie tous les jours, mais le Relais H de Havre-Caumartin ferme le dimanche ; Hachette a une conscience sociale), quatre semaines par mois, ça ferait une boîte entière de sachets par mois ! Comme la France est un pays libre, où l’égalité règne, le vieux monsieur n’a pas à céder son tour aux agents de sécurité de la RATP quand ils viennent s’acheter un café.

En revanche, le troisième mendiant alors s’éclipse. Car le troisième n’est pas un Français, mais un Slave. Il y a un an, son blouson de faux cuir était neuf. En hiver, un blouson mince et une chemise sont d’une grande élégance. L’année a passé, son blouson est déchiré, le troisième mendiant ne se rase plus très souvent et ne boutonne plus guère sa chemise. À présent que l’hiver revient, c’est la preuve que les Slaves résistent mieux au froid que les Français.

Notre Slave est élégant, mais pas galant. Il tient tant à son emplacement (le plus proche des grands magasins, les Slaves ont le sens de leurs intérêts) que notre quatrième mendiant, une vieille dame moins compacte que la première, ne peut l’occuper que lorsque les affaires du Slave l’appellent ailleurs. La vieille dame moins compacte aime s’asseoir directement sur les marches de l’escalier. Mais il lui arrive d’interposer du carton entre elle et les marches. Une délicate. »


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